Evaluations nationales décriées : où est le problème ?

En cette rentrée 2024, les évaluations nationales sont étendues à tous les niveaux du CP au CM2. Après tout, où est le problème si comme le prétend le ministère, elles permettent de « fournir aux enseignants des repères » et d’enrichir leurs pratiques pédagogiques ? L’Institution, à elle, obtient des indicateurs à l’échelle nationale, que les directions d’Académie, les inspections et les chefs d’établissement peuvent observer finement afin de mieux « piloter ».
Pourtant si on tend l’oreille auprès des enfants ou de leur famille, ces évaluations sont une source de stress et de mal-être pour beaucoup, notamment liée aux conditions de passation de ces évaluations. Le simple fait qu’elles inaugureront dorénavant toutes les rentrées scolaires n’est pas une bonne nouvelle. A ce moment de l’année, la relation de confiance n’est pas installée entre les élèves et leur professeur. La connaissance du groupe et des individualités n’est pas suffisante pour garantir une passation sereine. De nombreuses études montrent que les élèves français souffrent d’anxiété de manière fréquente et significative (Hadji,2015). La peur de l’échec, la pression extérieure (qui provient de la propre anxiété des parents très souvent), le statut de l’erreur, la crainte de la sanction et du jugement sont autant de facteurs qui l’expliquent. Le système d’évaluation et de notation a souvent été mis en cause. Autre effet secondaire possible : la motivation pour l’acquisition de nouvelles connaissances repose uniquement sur l’envie d’obtenir une bonne note et de satisfaire l’adulte.
« Ma maîtresse je l’aime bien. Mais on n’a pas encore fait de contrôle parce que c’est la rentrée. Je sais pas si elle est sévère. Si ça se trouve elle va mettre zéro à tous les élèves et on sera les plus nuls de l’école (rires) » (Léon, 8 ans, Montpellier)
« J’aime bien l’école. J’ai des copains. Je réussis pas trop en lecture. Du coup, c’est difficile parce qu’il faut toujours lire les exercices. Je préfère quand on m’aide » (Jade, 10 ans, Montpellier)
« Les évaluations j’aime pas parce que souvent y a le chrono. Moi ça me stresse. En plus, quand ça va vite, j’ai l’impression que j’oublie tout, que j’ai rien dans ma tête. Ma mère elle comprend pas. Elle s’énerve » (Nour, 11 ans, Montpellier)
« T’façon, moi je vais pas réussir. J’ai failli pas aller en CE2 ma mère elle m’a dit. Donc sûr je rate.» (Adam, 8 ans, Montpellier)
Ces évaluations de début d’année prétendent permettre de situer un.e élève par rapport au groupe classe et par rapport aux enfants de même niveau scolaire sur une tâche donnée. Mais elles ne peuvent rien dire de son évolution, sauf à refaire une évaluation similaire quelques temps plus tard (ce qui est le cas en classe de uniquement en CP, au mois de janvier). Elles servent donc à faire un diagnostic extrêmement parcellaire du niveau de l’enfant.
Si on écoute les enseignant·es, au-delà de l’inutilité des évaluations qui ne prennent pas en compte le contexte de la classe, ni l’hétérogénéité des situations et des élèves, au-delà du temps important qui y est consacré au détriment des autres activités, c’est surtout la crainte de perdre la liberté pédagogique et de leurs actions face à une standardisation, assumée par le ministère. Celle-ci renforcée par des manuels scolaires labélisés et de programmes ré-écrits sans concertation.
Ce n’est pas un simple outil mis à la disposition des enseignants qui garderaient une autonomie sur le travail à accomplir. Ça installe insidieusement un cadre rigide.
Thomas, professeur des écoles – Montpellier
On comprend aussi que cela ne fait pas plaisir quand le discrédit est jeté sur leurs compétences à évaluer ou à enseigner par eux-mêmes.
Nombreux sont donc les personnels de l’éducation qui y voient plutôt une instrumentalisation pour justifier le projet de transformer les enseignant·es en simples exécutant·es de directives, de méthodes, d’évaluation, et ce au détriment de nos enfants.
Thomas, professeur des écoles à Montpellier, témoigne :
« Moi je suis enseignant en CM2, donc c’est la première fois que je vais les faire passer. C’est un pilotage très normatif qui va nous obliger à réorienter notre travail autour des seuls fondamentaux du français et des maths. Ça laisse de côté tout ce qui touche à la mise en projet, l’épanouissement des élèves, la dimension culturelle de l’enseignement »
« Ca rentre dans une logique globale d’évaluation, de « pilotage d’ensemble » car dans mon établissement, on nous demande d’évaluer notre propre école. Ces évaluations situent les élèves, mais situent également un établissement tout entier. Ces indicateurs vont donc obliger à réorienter les projets d’école encore une fois sur ces fondamentaux normés. Donc ce n’est pas un simple outil mis à la disposition des enseignants qui garderaient une autonomie sur le travail à accomplir. Ça installe insidieusement un cadre rigide. On va rentrer dans une logique de mise en concurrence des écoles et va nous désinvestir de notre liberté et de notre geste pédagogique.»
« Je sais aussi que ça va générer du stress. Par exemple en math, je vois des comportements très fort d’inhibition chez certains enfants. Ces protocoles d’évaluation dès le départ les mettent en situation d’échec et renforcent la dégradation de leur propre image. Ça va à l’encontre de la mise en place d’un contexte d’apprentissage calme et serein »
« Ce sont des outils qui nous déconnectent de la réalité des enfants et de la réalité de ce que c’est qu’apprendre. Apprendre c’est déjà être bien dans une classe, être serein, trouver sa place, rentrer dans une dynamique de création, d’imaginaire, de culture, entrer dans une dimension aussi citoyenne et critique de soi-même, trouver de la confiance… tout ça ça fait un bon substrat pour rentrer dans les apprentissages et en faire quelque chose.»
Et quelle est la position Une École, Un Avenir ?
Il ne faut pas confondre l’égalité et l’universalité avec la normativité
Revendiquant une école publique de qualité, nous sommes sensibles à la nécessaire adaptation des enseignements au contexte local, à la réalité des classes et des enfants qui les composent. Pour cela, nous faisons confiance aux enseignant.es pour mener les évaluations qu’ils et elles sont formés à élaborer, conduire et analyser. La réflexion critique portant sur la norme comme seul et unique repère n’est pas un à côté. Il ne faut pas confondre l’égalité et l’universalité avec la normativité. Bien sûr, nous exigeons des enseignements de qualité. De nombreux travaux universitaires démontrent combien de nombreuses pistes restent encore inexploitées en matière de pédagogie et de rapports aux apprentissages. Nous soutenons l’innovation, la créativité et l’audace dans les enseignements pour nos enfants. Les évaluations diagnostiques qui servent à réaliser des groupes de niveaux sont inefficaces. Des évaluations qui déterminent qu’un enfant est en grande difficulté, sans pouvoir consulter d’orthophoniste, sans pouvoir bénéficier du réseau d’aide spécialisée, sans pouvoir bénéficier de soutien scolaire gratuit, sans pouvoir avoir de place dans les classes ULIS, sans avoir d’AESH à ses côtés, ça n’a pas de sens !
Vous l’aurez compris, une fois de plus, nous appuyons les arguments des nombreux professeurs qui réclament la suppression de ces évaluations nationales généralisées.
Le rassemblement est prévu à 12h devant le Rectorat de Montpellier. Nous y serons !