Portrait d’une AESH Montpelliéraine

Après une carrière dans l’administration, Hélène, maman de 43 ans, décide de se reconvertir et devient AESH. Douce et humaine, elle raconte sans concession son travail au quotidien depuis un an pour Une Ecole, Un Avenir.
Comme à notre habitude, la langue de bois est interdite. A travers son témoignage, découvrez comment se conçoit l’inclusion à l’école en 2025 et les réalités des femmes qui exercent ce métier.
1E1A : Peux-tu te présenter et raconter un peu ton parcours avant de devenir Accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) ?
Je m’appelle Hélène, j’ai 43 ans. Je suis AESH depuis presqu’un an. Je suis juriste de formation. J’ai exercé dans l’administration pendant huit ans en tant que juriste puis à des postes différents. Le côté très politique de l’administration a toujours été un poids. Donc j’ai fait un bilan de compétences et c’est clairement les métiers plus “humains” qui me convenaient davantage. Il était aussi important pour moi de concilier vie personnelle et vie professionnelle. J’ai donc décidé de quitter temporairement l’administration pour exercer ce nouveau métier, malgré la baisse notable de mes revenus. Pour le moment, je suis très contente de ce choix. Mais je suis obligée d’avoir un autre emploi à côté (polyactivité) car le travail d’AESH seul ne me permet pas d’assumer totalement mes charges.
Depuis quand as-tu pris tes fonctions ? Comment ça s’est passé ?
J’ai pris mes fonctions au milieu de l’année scolaire dernière. Etre accompagnante d’élèves en situation de handicap, en pratique cela signifie que j’accompagne un ou plusieurs élèves durant les temps scolaires pour leur permettre de suivre les enseignements et d’être scolarisés dans des conditions à peu près confortable pour eux, mais aussi pour le reste de la classe.
Mon entrée en fonction est assez emblématique de ce qui est demandé aux AESH. Pour démarrer, j’ai eu 14 élèves par semaine à accompagner, dans 4 établissements différents, 7 classes différentes. Le plus compliqué c’est de parvenir à les connaître tous ainsi que les enseignants, en passant finalement très peu de temps avec chacun d’eux. Puis il y a aussi les équipes d’animateurs, les équipes d’agents, qu’il faut découvrir. C’est difficile de s’intégrer dans cette situation où on est très peu présente. Les gens ne savent pas trop qui on est. Les enseignants ne se rappellent pas toujours si on va être là ou pas. Une fois, une collègue est arrivée et la classe était partie en sortie. C’était un peu décourageant.

As-tu vécu des situations difficiles depuis ?
La plus difficile que j’ai eu à vivre, c’était pour un élève que j’avais vu à peine deux fois dans sa classe. C’était un enfant en attente de place dans un ITEP (NDLR : Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) qui faisait des crises monumentales : il jetait les tables, les chaises, il donnait des coups dans les sacs, jetait de l’encre sur ses camarades, faire semblant de mordre, il a essayé de me scier les doigts avec une équerre. C’est un enfant qu’il fallait sortir de la classe pour essayer de lui proposer autre chose et, sur le peu de temps où j’ai été avec lui, je ne suis pas arrivée à créer le lien ; il y a eu un épisode où il a fallu qu’on soit quatre adultes pour pouvoir canaliser cet enfant qui s’énervait et nous tapait. Cela a donné lieu à une fiche de signalement d’incident. Cela m’a marquée. J’étais en formation concernant les élèves au comportement perturbé. Il semble que ces situations soient de plus en plus fréquentes.
De manière générale, ce qui est complexe, c’est d’avoir des situations très variables dans le type d’accompagnement, dans un contexte où on nous change d’élèves accompagné régulièrement, avec peu de temps passé avec un même enfant. L’an passé, je me suis retrouvée à découvrir un enfant présentant un trouble du spectre autistique sans avoir pu lire son dossier avant. C’était déroutant. Mais au final, cela a été très satisfaisant de trouver des voies de passage pour l’aider et interagir avec lui. Il a fallu proposer des choses qui le sécurisent. Ce que j’aime dans ce métier, ce sont les échanges avec les enfants.
Aujourd’hui il y a un mouvement de grève. Pourquoi ? Est-ce que tu la fais ?
Bah écoute, on a reçu un mail début janvier qui nous annonçait que proposer 3 heures par semaine aux élèves en situation de handicap dans notre école était pratiquement une situation luxueuse par rapport aux autres établissements ! Donc on va sûrement supprimer des heures d’AESH dans l’école où je travaille. Ces trois heures correspondent à une répartition des “moyens humains”. Je m’explique. Il y a des enfants qui ont des notifications pour une aide individualisée. Pour eux, pas de problème, ils ont un nombre d’heures défini avec une AESH. Mais la majorité reçoit une aide dite “mutualisée”. Il va donc y avoir une AESH pour plusieurs élèves, dans l’école. Le nombre d’heures octroyées n’est pas défini du tout. Donc par exemple, si dans mon école il y a 9 enfants avec des aides mutualisées dans 5 classes différentes et qu’il y a une AESH qui travaille 15h sur l’établissement, et bien cela correspond à 3h en moyenne de présence de l’AESH dans chaque classe mais parfois pour plusieurs élèves en même temps. En pratique, on répartit ces trois heures de manière à être plusieurs fois dans la classe. Donc on coupe les demies journées en deux. Avant la récré du matin, on est dans une classe, puis après la récré dans une autre etc. Les emplois du temps sont donc très découpés. Je trouve que c’est insatisfaisant pour nous et assez grave pour les élèves. On est très peu de temps avec les eux. Cela crée une perte de sens dans les accompagnements, car il faut du temps pour les connaître, dans différents contextes et puis c’est mieux de connaître les enseignants, leur façon de travailler et d’aborder les notions.
Par ailleurs, on peut être changée d’établissement n’importe quand. Certaines collègues touchaient la prime REP en étant en poste dans mon école mais elles ont été mutées. Elles ont perdu du salaire. On peut nous envoyer au collège du jour au lendemain. Or moi par exemple, j’ai besoin de mon mercredi pour compléter mon salaire.
Entre les conditions d’accueil des élèves et les conditions d’accueils des AESH, forcement que pour la grève, je me suis posé la question. J’ai fait la grève la dernière fois quand il y eu une mobilisation plus globale dans l’Education nationale. Mais il y a les accompagnements et j’ai du mal ne pas être aux côtés des élèves que j’aide. C’est un crève-cœur. Et puis, bien sûr, il y a la question financière aussi. Même si je trouve ça important, je n’y serai pas cette fois-ci.
En tant qu’AESH, te sens-tu soutenue ? Considérée ?
Cette année, j’ai un emploi du temps qui me permet d’être bien mieux identifiée dans mon établissement. L’équipe pédagogique est soudée. En tant qu’AESH, je peux participer aux conseil des maîtres, ou aux réunions qui concernent les élèves. Il y a de la solidarité et de la cohésion au sein de l’établissement. Dans le regard des enseignants, on sent bien qu’on est utiles. Ils sont encourageants.
Je pense que les parents ont un regard assez favorable sur les AESH et les enfants aussi et ça, ça fait du bien.
Je sais qu’il y a des syndicats qui se mobilisent. Mais côté Rectorat, on ne se sent pas du tout soutenues. On a des réunions de PIAL (pôle inclusif d’accompagnement localisé) quelques fois dans l’année, mais il faudrait une coordination entre AESH d’un même établissement, des échanges de pratiques, une vraie coordination, échanger autour des enfants, ne pas subir les emplois du temps. On se sent démunies et peu soutenues.
Du point de vue de l’administration, nous sommes des petites mains. Nous sommes des aides “humaines”. Si ça pouvait être un robot, ça serait un robot. Pour l’instant, c’est des humains. Mais on se sent comme des pions. Les parents ne savent pas toujours que leur enfants n’a pas d’AESH depuis quelques temps. Qu’une autre a été nommée. Pareil pour les enseignants. Tout le monde est mis sur le fait accompli des changements de dernière minute.
Et puis, j’ai découvert le mépris de classe. Avant, j’étais fonctionnaire catégorie A. On me disait bonjour. Aujourd’hui, mon statut a clairement modifié la façon dont on me parle et me considère.
Vois-tu des améliorations possibles ?
Alors pour le moment, ça ne prend pas le chemin de l’amélioration. Il y a une logique comptable. On coche des cases : “cet enfant a bien eu son heure d’accompagnement mutualisé ? oui ?ok !” Peu importe si elle lui est bénéfique avec un tel saupoudrage. La prochaine trouvaille, c’est le “PAS” : la notification d’attribution d’aide ne dépendra plus du ministère de la santé via la MDPH, mais dépendra de l’Education nationale. Dans un contexte de choix budgétaire qui réclame toujours plus d’économies, ce n’est pas rassurant ! Et on parle de milliard d’économies. Quand on voit tout ce dont bénéficient tous les anciens ministres et Premiers ministres… Quand on ferme des établissements spécialisés, qu’on trouve que les AESH ça coûte trop cher, on se demande qu’elles sont les priorités ! Mais comment se mobiliser ? J’ai l’impression que notre voix à nous ne porte pas.
Les enseignants aussi ont des revendications. Beaucoup de revendications. La question de l’inclusion se retrouve noyée dans une masse de problématiques. Peut-être qu’il faudrait des grèves avec plusieurs professions concernées par l’inclusion ?
Et puis pour les parents je me dis, mais quelle arnaque ! Autant d’énergie pour monter des dossiers énormes pour obtenir une heure d’accompagnement mutualisé par semaine. Et les parents des autres enfants ? Quand l’inclusion est mal gérée, c’est toute la classe qui en pâtit. En tout cas, on ne peut pas continuer dans un système aussi aberrant.
J’aime ce métier. Je commence à peine et j’adore ce que je fais. Je ne voudrais changer pour rien au monde. Alors j’espère que ce système changera.