Portrait d’une directrice passionnée
Madame Pascale Bocciarelli : un engagement de 35 ans dans l’Education nationale
Pascale Bocciarelli est une femme souriante et volubile. Après 35 ans de carrière, elle raconte son parcours, sa passion pour son métier et son quotidien de directrice pour Une Ecole, Un Avenir.

Bonjour Pascale. Peux-tu te présenter en mettant en lumière ton parcours professionnel ?
Bonjour je m’appelle Pascale, je travaille dans l’Education nationale depuis 35 ans ! J’ai fait des études de Droit à Montpellier. Au départ, je voulais devenir juge pour enfants.
Au cours de ces études, j’ai été confrontée aux injustices : j’étais très mal à l’aise par rapport à certaines catégories de population qui étaient jugées et puis condamnées plus facilement que des catégories plus aisées. Finalement, j’ai pensé que ça serait peut-être mieux d’éduquer plutôt que de réprimer. Donc après mes cinq années de Droit, j’ai passé le concours de l’École Normale. J’ai commencé à travailler quelques mois dans un établissement pour enfants en grande difficulté de comportement. Puis on m’a proposé un échange culturel avec l’Espagne. Je suis partie un an en détachement, puis j’ai enseigné au Lycée français de Madrid pendant 8 ans.
Voilà mon credo : faire réussir les élèves avec l’implication des familles le plus possible !
A mon retour en France, ma première école d’affectation fût l’école Jean Cocteau et cela fait donc 25 ans que j’y enseigne ! J’ai été enseignante de Grande Section, puis la directrice est partie, et comme personne ne voulait reprendre le poste, et moi non plus au demeurant, et bien je me suis retrouvée à la direction. Finalement je suis contente. Pas tant pour le côté administratif, les relations avec la mairie ou avec la hiérarchie (rires). Ce qui m’a le plus intéressée, c’était la dynamique de l’école, insuffler des projets dans la bienveillance et l’entraide. On voulait améliorer la relation de coéducation avec les familles, de façon à ce qu’elles puissent être partie prenante de l’école et des apprentissages de leurs enfants. Je prolonge un travail de confiance dans l’école, pour que les enfants réussissent et que les familles s’impliquent le plus possible. Voilà mon credo : faire réussir les élèves avec l’implication des familles le plus possible !
Quelles sont les particularités de ce quartier et de cette école ?
On a des effectifs qui sont bien moindres que ceux des écoles en dehors de ce réseau et qui tournent à 23,24, 25 élèves par classe. Au-delà de certains effectifs, on refuse les inscriptions.
Dans ce quartier, les familles peuvent connaître des situations sociales et familiales assez dramatiques. Depuis quelques années, de plus en plus de familles sont demandeuses d’asile. Certaines obtiennent des papiers, d’autres non. Parfois, il y a des situations où les enfants sont nés en France et sont scolarisés depuis toujours ici. Il est arrivé qu’on doive montrer notre solidarité et notre soutien, pour orienter les familles vers la Cimade par exemple et éviter des expulsions. Je peux aussi citer d’autres associations formidables comme DAL (Droit au logement), Le collectif Migrants Bienvenue 34, Avec Toits, Enfance et Partage et bien-sûr le Secours populaire, les Restos du coeur et bien d’autres qui luttent contre la précarité.

Cette école est inscrite dans le “réseau éducation prioritaire” par l’Education nationale, dans le quartier de Saint Martin, qui est classé quartier “Politique de la Ville”. C’est donc un quartier dit “sensible”.
Dans les particularités liées au quartier, je dirais que les difficultés économiques ou l’écart culturel tiennent certaines familles très éloignées des lieux culturels, surtout s’ils sont payants, comme, par exemple, les musées, l’aquarium, les salles de théâtre.
Cet écart culturel ou social provoque parfois des différences dans le rapport à la parentalité. Avec certaines familles, imposer des règles et des limites qui instaurent un cadre sécurisant est parfois un long travail, que l’on aborde sous l’angle de la coéducation. Dire “non” à un enfant ou punir, n’est pas obligatoirement maltraitant et parfois, il faut aider les familles à appréhender cela.
Peux-tu évoquer les principaux moments de joie dans le travail d’enseignante ou le travail de directrice ?
Les moments de joie en tant qu’enseignante ? Bien sûr, c’est déjà quand les enfants arrivent à l’école contents en Petite Section et qu’ils ne pleurent plus le matin ! Mais aussi quand les parents s’investissent dans les activités qu’on leur propose et qu’ils sont partie prenante. C’est aussi quand ils nous disent que leurs enfants sont heureux d’aller à l’école et qu’ils la réclament même pendant les vacances : ça, c’est c’est qu’on a gagné avec eux ! En tant qu’enseignante, on est heureuse quand on a travaillé certaines notions et qu’on voit que les enfants ont compris. L’autonomie autant dans leur comportement que dans les apprentissages, c’est important !
En tant que directrice, j’accorde une grande importance dans la coopération entre les parents et les enseignants. L’équipe ici très investie. Les parents leur font confiance, on y travaille. Quand notre hiérarchie est soutenante (ce qui n’est pas toujours le cas), qu’elle reconnaît notre travail et les résultats qu’on obtient, cela me fait autant plaisir que de voir des anciens élèves quand ils ont 25 ans, et qu’ils sont bien dans leur vie, ont un travail, sont autonomes, responsables et libres en tant que citoyens. C’est un immense plaisir !
Avec quels partenaires associatifs ou institutionnels travaillez-vous au quotidien ?
On travaille avec la coordinatrice du REP qui nous met en contact avec des associations. Je peux citer ll’association Jouons en ludothèque qui œuvre pour la culture du jeu et son intérêt dans les liens parents-enfants, le développement du langage et des apprentissages. On est en contact avec Jasmin d’Orient, qui à l’origine travaillait à favoriser l’intégration des femmes mais qui a élargi son champ d’action. Il y a aussi Lire c’est partir, une association qui permet d’acheter des livres à bas prix, Lire et faire lire, qui mélange les générations autour de la lecture, Les petits débrouillards… Nous sommes en lien avec les travailleurs sociaux du quartier qui peuvent accompagner des familles vers des lieux culturels ou des rdv médicaux. Pour les familles qui sont demandeuses d’asile ou en situation irrégulière, nous avons plusieurs relais associatifs. Bien sûr, on est en lien avec les Maisons pour Tous et les musées de la ville, pour faire des sorties gratuites notamment.
Quels sont les moments délicats que tu rencontres ou que tu as rencontrés tant qu’enseignante ou en tant que directrice d’établissement ?
De manière générale, je trouve que l’école maternelle n’est pas suffisamment valorisée. Dans l’esprit de certaines familles, c’est comme de la garderie. Alors que c’est un échelon essentiel pour les apprentissages. A cet âge, on peut résorber déjà beaucoup de difficultés.

Par ailleurs, nous sommes confrontés à la scolarisation de tous les enfants en situation de handicap. Certains présentent un trouble léger. Ils peuvent parfois avoir une aide humaine individualisée. Leur scolarité ne sera peut-être pas exactement celle des autres mais ils pourront être autonomes progressivement. En revanche, certains enfants qui relèvent d’établissements spécialisés comme les IME (Instituts médico-éducatifs) ou les ITEP (Instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques), sont scolarisés avec plus ou moins d’adaptations au nom de la loi sur l’inclusion scolaire.
Le problème, c’est que nos conditions d’accueil sont totalement insuffisantes et que l’on se retrouve dans des situations de maltraitance qui entraînent beaucoup de souffrance chez les parents, les enfants et les enseignants.
Parmi les tâches qui m’incombent en tant que directrice, il y a la gestion des relations avec la Mairie de Montpellier.
Cela fait donc 15 ans qu’il me faut littéralement quémander pour obtenir des travaux, même de la simple remise en état. Parfois, j’ai l’impression que c’est lié au quartier de Saint Martin.
De la même manière, je suis obligée de signaler que le ménage n’est pas correctement fait. On me répond que malgré les propositions de recrutement, personne ne se présente…
Comment vois-tu l’évolution de ton métier ?
On nous demande de plus en plus de paperasse à remplir : des enquêtes et des formulaires dont on ne sait même pas à quoi ils servent. Les chiffres remontent au Ministère. Est-ce que ça sert réellement à la réussite des élèves ? Globalement, on a besoin de plus de moyens. Alors pour cela, il faut faire des demandes de nouveaux projets, justifier d’innovations pédagogiques. J’estime qu’en tant qu’école du réseau d’éducation prioritaire, on devrait recevoir les aides supplémentaires sans devoir justifier en permanence. Nos conditions de travail sont de plus en plus précaires et d’ailleurs, il y a de plus en plus de démissions, de plus en plus de ruptures conventionnelles, de moins en moins de candidatures pour travailler dans l’Education nationale. Actuellement, on préfère recruter des contractuels qui coûtent moins cher que de prendre les gens sur concours. Il faudrait une formation de qualité, qui parle du terrain et de la réalité des enfants d’aujourd’hui. Il faudrait revaloriser nos salaires et diminuer les effectifs par classe. Il faudrait une formation continue de qualité, avec des contenus récents, issus des recherches actuelles sur la pédagogie.
Malheureusement, les services publics ne rapportent pas d’argent à l’Etat, alors on n’investit plus. Je suis passionnée par mon métier, je ne vais pas le lâcher maintenant.
Si j’avais 25 ans, je ne sais pas si je ferais ce boulot. Je ferais surement du social, mais enseignante, je ne crois pas !
Les gens ne se rendent pas compte qu’on ne travaille pas juste 24h par semaine (coucou Monsieur Sarkozy ) ! Dans mon école c’est 40 heures par semaine : on travaille le weekend, on travaille le soir pour réajuster nos apprentissages par rapport à la journée, on a des conseils des maîtres et on discute de boulot entre midi et deux. On devrait être payés en conséquence !

Superbe Pascale, je suis très fière de toi. Si tous les instituteurs pouvaient être comme toi !
Pascale Bocciarelli, la meilleure maittrese et diretrice que j’ai jamais rencontrée dans ma vie, je lui souhaite que du succès et de la santé dans sa vie